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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rent, et une rosée, qui ressemblait fort à une averse, tomba sur moi du haut d’un double amphithéâtre de tonneaux.

Je levai les yeux : chaque élève, sur un tonneau, posait dans l’attitude et dans l’action de Manneken-Pis, de Bruxelles. Les grandes eaux jouaient pour mon arrivée.

Cette façon de me recevoir me déplut fort ; je pris le galop pour me soustraire à l’application de ces douches d’une nouvelle espèce ; mais il y avait eu un premier moment d’étonnement qui avait amené un moment d’hésitation ; puis, le parti pris, il m’avait fallu franchir un espace de cinq à six pas ; de sorte que, lorsque je sortis de la voûte, j’étais tout ruisselant.

J’étais fort pleureur de ma nature. Souvent, tout enfant, je m’asseyais dans un coin et pleurais sans aucun motif. Alors, comme, lorsque je parlais de moi, c’était toujours à la troisième personne, et qu’on avait adopté, par façon de raillerie, cette manière de me parler, alors ma mère s’approchait de moi et me demandait :

— Pourquoi Dumas pleure-t-il ?

— Dumas pleure, répondais-je, parce que Dumas a des larmes.

Cette réponse, qui enlevait toute inquiétude, satisfaisait presque toujours ma mère, qui s’en allait en riant, et me laissait pleurer tout à mon aise.

Si je pleurais sans motif, à plus forte raison, on le comprend bien, devais-je pleurer, un motif réel m’étant donné de verser des larmes.

Or, quel motif plus plausible pouvait m’être donné que celui de l’humiliation que je venais de subir, et du tort qui venait d’être fait à mon vêtement neuf ?

Aussi, lorsque l’abbé Grégoire revint de dire sa messe, me trouva-t-il sur l’escalier, fondant en eau, ni plus ni moins que la Biblis de M. Dupaty.

À peine l’abbé Grégoire avait-il paru, que mes camarades s’étaient rapprochés de moi, s’étaient rangés en cercle autour de l’escalier, et, avec toutes les apparences d’un intérêt réel, se demandaient les uns aux autres quelle pouvait être la cause de mes larmes. L’abbé Grégoire fendit le cercle hypocrite,