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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Oh ! oui, vous laisser passer, monsieur le vicaire ! dit l’homme avec cet accent goguenard tout particulier à nos paysans ; on ne passe pas comme cela !

— Et pourquoi ne passe-t-on pas comme cela ? demanda le vicaire.

— Parce qu’on a un petit compte à régler avec ce pauvre Bastien.

— Je ne vous dois rien, dit l’abbé : laissez-moi passer ; vous voyez bien que je suis attendu, et par quelqu’un qui n’a pas le temps d’attendre longtemps.

— Il faudra pourtant bien, dit Bastien en jetant bas sa veste et en crachant dans ses mains, il faudra pourtant bien qu’il attende ; s’il est trop pressé, il ira devant.

— Et que faudra-t-il qu’il attende ? demanda l’abbé, qui commençait à s’échauffer.

— Que je vous aie donné une volée donc, monsieur le vicaire.

— Ah ! oui-da ! Et c’est pour cela que tu es venu, Bastien ?

— Un peu.

— Ce n’était pas la peine de te déranger, mon ami.

— Vous croyez ?

— J’en suis sûr.

Et, posant le viatique sur le bord d’un fossé :

— Mon Dieu, dit l’abbé du ton le plus religieux, mon Dieu, ne soyez ni pour l’un ni pour l’autre, et vous allez voir un gaillard joliment rossé.

L’abbé était homme de parole, et le bon Dieu vit ce qu’il avait promis de lui faire voir.

Après quoi, il reprit le viatique, continua son chemin, administra son malade, et revint tranquillement chez lui.

Bastien et l’abbé Portier avaient tous deux intérêt à se taire. Aussi se turent-ils. Mais on sut l’affaire par l’enfant de chœur.

Et, il faut le dire à l’honneur de l’abbé Fortier, elle n’étonna personne.

Un jour, il allait chasser à Lamotte ; mais, avant de se mettre en chasse, il devait dire la messe dans la chapelle du château ;