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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

quantité de neige était entrée dans le canon de son fusil. Son fusil avait crevé, et il s’était emporté une partie de la main gauche.

Le docteur Lécosse, appelé, avait pratiqué à l’instant même l’amputation du pouce. M. Danré avait guéri après une fièvre affreuse ; mais il était resté estropié.

Or, chaque fois qu’il, était question de fusil, de pistolet, d’une arme à feu quelconque devant ma mère, ma mère me voyait revenant pâle et sanglant comme M. Danré de Vouty, et prenait une telle frayeur, que, moi-même, j’en avais pitié et que je renonçais presque à être jamais un Hippolyte ou un Nemrod.

Alors, je revenais à mon arc et à mes flèches ; mais là encore était pour ma mère un nouveau sujet d’alarmes. Un de nos voisins, un nommé Bruyant (qu’on retienne ce nom, on le retrouvera plus tard dans une circonstance grave) avait eu, comme Philippe de Macédoine, l’œil droit crevé par une flèche.

La terreur de ma mère fut donc grande en apprenant que j’étais muni d’un pistolet, et que j’avais des munitions pour l’utiliser.

C’était bien difficile de courir après moi. Mes jambes avaient, grandi depuis l’aventure de Lebègue ; d’ailleurs, la forêt m’était amie : comme Bas-de-Cuir connaissait tons les coins et recoins de ses bois, moi, je connaissais tous les tours et détours des nôtres. J’étais capable d’être encore trois jours sans revenir. On résolut d’employer l’autorité.

Il existait, logeant à la mairie, une espèce de portier agent de police, remplissant les fonctions de commissaire, ou à peu près ; annonçant les nouvelles au son du tambour, comme cela se fait encore dans quelques villes de province ; l’été, tuant les chiens errants, non pas avec des boulettes, mais avec un grand couteau de chasse ; l’hiver, faisant casser la glace des ruisseaux, et enlever la neige de devant les portes ; Il s’appelait Tournemolle.

On prévint Tournemolle.

Tournemolle guetta ma rentrée chez ma mère ; puis, derrière moi, il se présenta.