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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

cations à l’empereur. Le 10 février était fixé comme terme à sa réponse. « Et, à défaut de réponse, disait le décret, le silence de l’empereur, après la déclaration de Pilnitz, sera considéré comme une rupture des traités de 1756 et comme une hostilité. »

Le 1er mars suivant, l’empereur Léopold mourait, épuisé de débauches, à l’âge de quarante-cinq ans, et son fils François lui succédait dans les États héréditaires.

Comme aucune réponse satisfaisante n’avait été faite, les troupes se portèrent à la frontière, et le régiment des dragons de la Reine, où mon père servait toujours, mais, depuis le 16 février 1792, en qualité de brigadier, fut placé sous les ordres du général Beurnonville.

Ce fut au camp de Maulde que mon père trouva la première occasion de se distinguer. Commandant comme brigadier une découverte composée de quatre dragons, il se rencontra à l’improviste avec une patrouille ennemie composée de treize chasseurs tyroliens. Les apercevoir et, malgré l’infériorité du nombre, donner l’ordre de charger, fut pour lui l’affaire d’un instant. Les Tyroliens, qui ne s’attendaient pas à cette brusque attaque, se retirèrent dans une petite prairie entourée d’un fossé assez large pour arrêter la cavalerie. Mais, je l’ai dit, mon père était excellent cavalier ; il montait un bon cheval qu’il appelait Joseph. Il rassembla les rênes, lança Joseph, franchit le fossé comme M. de Montmorency, et se trouva en un instant seul au milieu des treize chasseurs, qui, étourdis d’une pareille audace, tendirent leurs armes et se rendirent. Le vainqueur réunit en un seul faisceau les treize carabines, les posa sur l’arçon de sa selle, fit marcher les treize hommes à la rencontre de ses quatre dragons, qui se tenaient de l’autre côté du fossé qu’ils n’avaient pu franchir, et, ayant le dernier repassé le fossé, il ramena ses prisonniers au camp.

Les prisonniers étaient rares à cette époque. L’apparition de quatre hommes en ramenant treize produisit donc une vive sensation dans le camp. Cette preuve de courage que venait de donner le jeune brigadier fit du bruit ; le général Beurnonville