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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/125

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

culte pour elle. Joignez à cela les souvenirs des romances que ma sœur chantait, qu’on disait de cette reine, et qui s’étaient tellement répandues de ma mémoire dans mon cœur, qu’aujourd’hui encore, quoiqu’il y ait vingt ans que j’ai entendu ces vers et cette musique, je répéterais les uns sans en oublier un mot, et noterais l’autre sans transposer une note. C’est que des romances de reine, c’est qu’une reinequi chante, cela ne se voit que dans les Mille et une. Nuits, et cela était resté dans mon esprit comme un étonnement doré[1]. »

Je n’avais pour la comtesse de Saint-Leu aucune lettre de recommandation ; mais j’espérais que mon nom ne lui était pas tout à fait inconnu : j’avais déjà donné, à cette époque, Henri III, Christine, Antony, Richard Darlington, Charles VII et la Tour de Nesle.

Lorsque j’arrivai à Arenenberg, il était de trop grand matin pour me présenter à la reine. Je laissai ma carte chez madame Parquin, lectrice de la comtesse de Saint-Leu, et sœur du célèbre avocat de ce nom, et je profitai d’une jolie tempête qui venait de s’élever pour aller faire une promenade sur le lac.

À mon retour, je trouvai une invitation à dîner qui m’attendait à l’hôtel ; puis une lettre de France était venue me chercher là avec une intelligence qui faisait le plus grand honneur à la poste suisse : cette lettre contenait l’ode manuscrite de Victor Hugo sur la mort du roi de Rome.

Je me rendis à pied chez la reine, et je lus la lettre en m’y rendant.

On peut voir, dans mes Impressions de Voyage, tous les détails de cette gracieuse hospitalité que la reine me força de prolonger pendant trois jours. Je ne veux reproduire ici qu’une conversation où l’on trouvera une étrange profession de foi dans le présent, — si l’on veut bien se rappeler que le présent de cette époque correspondait à septembre 1832, — et une singulière prévision de l’avenir

  1. Que l’on n’oublie pas que ces lignes étaient écrites sous Louis-Philippe, au temps de la proscription des Bonaparte.