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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/131

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

vu passer Napoléon revenant de l’île d’Elbe s’éteint tous les jours, madame, et cette marche miraculeuse n’est déjà plus un souvenir : c’est un fait historique.

» — Ainsi vous croyez qu’il n’y a plus d’espoir, pour la famille de Napoléon, de rentrer en France ?

» — Si j’étais le roi, je la rappellerais demain.

» — Ce n’est point cela que je veux dire…

» — Autrement, il y a peu de chances.

» — Quel conseil donneriez-vous à un membre de cette famille qui révérait la résurrection de la gloire et de la puis sance napoléoniennes ?

» — Je lui donnerais le conseil de se réveiller.

» — Et s’il persistait, malgré ce premier conseil, — qui, à mon avis aussi, est le meilleur, — et qu’il vous en demandât un second ?

» — Alors, madame, je lui dirais d’obtenir la radiation de son exil, d’acheter une terre en France, de se servir.de l’immense popularité de son nom pour se faire élire député, de tâcher, par son talent, de disposer de la majorité de la Chambre, et de s’en servir pour déposer Louis-Philippe, et se faire élire roi à sa place.

» — Et vous pensez, dit la comtesse de Saint-Leu en souriant avec mélancolie, que tout autre moyen échouerait ?

» — J’en suis convaincu.

» La comtesse soupira.

» En ce moment, la cloche sonna le déjeuner ; nous nous acheminâmes vers le château, pensifs et silencieux. Pendant tout le retour, la comtesse ne m’adressa point une seule parole ; mais, en arrivant au seuil de la porte, elle s’arrêta, et, me regardant avec une expression indéfinissable d’angoisse :

» — Ah ! me dit-elle, j’aurais bien voulu que mon fils fût ici, et qu’il entendit ce que vous venez de me dire ! »