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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/92

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je ne vis plus qu’un point dans la salle déserte :
Acteurs, peuple, empereur, tout semblait avoir fui ;
Et, croyant être seul, je m’écriai : « C’est lui ! »
C’était lui ! Tout à coup, la figure isolée
D’un coup d’œil vif et prompt parcourut l’assemblée
Telle, en éclairs de feu, jette un reflet pareil
Une lame d’acier qu’on agite au soleil.
Puis, comme réprimant un geste involontaire,
Il rendit à ses traits leur habitude austère,
Et s’assit. Cependant, mes regards curieux
Dessinaient à loisir l’être mystérieux :
Voyant cet œil rapide où brille la pensée,
Ce teint blanc de Louise et sa taille élancée,
Ces vifs tressaillements, ces mouvements nerveux,
Ce front saillant et large, orné de blonds cheveux ;
Oui, ce corps, cette tête où la tristesse est peinte,
Du sang qui les forma portent la double empreinte !
Je ne sais toutefois… je ne puis sans douleur
Contempler ce visage éclatant de pâleur ;
On dirait que la vie à la mort s’y mélange !
Voyez-vous comme moi cette couleur étrange ?
Quel germe destructeur, sous l’écorce agissant,
A sitôt défloré ce fruit adolescent ?
Assailli, malgré moi, d’un effroi salutaire,
Je n’ose pour moi-même éclaircir ce mystère.
Le noir conseil des cours, au peuple défendu,
Est un profond abîme où nul n’est descendu :
Invisible dépôt, il est, dans chaque empire,
Une énigme, un secret qui jamais ne transpire ;
C’est ce secret d’État que, sur le crucifix,
Les rois, en expirant, révèlent à leurs fils !
Faut-il vous répéter un effroyable doute ?
Écoutez… ou plutôt que personne n’écoute !
S’il est vrai qu’à ta cour, malheureux nourrisson,
La moderne Locuste ait transmis sa leçon,
Cette horrible pâleur, sinistre caractère,
Annonce de ton sang le mal héréditaire ;
Et peut-être aujourd’hui, méthodique assassin,
Le cancer politique est déjà dans ton sein !
Mais non ! mon âme, en vain de terreurs obsédée,
Repousse en frissonnant, une infernale idée ;