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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/100

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

des roulements des tambours, loin de la fumée du canon, loin des éclairs de la fusillade, c’est vue ainsi que la guerre est, non-seulement hideuse, mais folle, mais insensée !

Nous reconnaissions tous ces débris : c’était pourtant ce qui restait de ces beaux régiments que nous avions vus passer si fiers, si menaçants, et dont la musique, traduisant l’enthousiasme, jouait le Veillons au salut de l’empire !

Hélas ! l’armée était détruite, et l’Empire abattu.

Enfin, les charrettes devinrent plus rares, et disparurent tout à fait.

Alors commença le passage de ces corps ralliés par Jérôme sous les murs de Laon.

Chaque régiment était réduit des deux tiers.

Il restait quinze de ces malheureux mamelouks ; les autres étaient tués ou dispersés.

Deux ou trois officiers, sur vingt-cinq ou trente qui avaient logé chez nous, vinrent nous voir en repassant. Les autres étaient restés, soit à la ferme du Goumont, soit à la Haie-Sainte, soit dans le fameux ravin qui servit de fosse commune à dix mille héros !…

Au milieu de cette déroute, mon beau-frère et ma sœur arrivèrent. Grâce aux souvenirs du siège de Soissons, en 1814, siège pendant lequel M. Letellier avait été maire, et s’était admirablement conduit, son fils avait obtenu de l’avancement.

Il était nommé contrôleur ambulant à Villers-Cotterets.

Il arriva avec ma sœur par la route de Paris, juste au moment où l’on attendait l’ennemi par la route de Soissons.

Cette fois, les cruautés étaient moins grandes : nulle part il n’y avait résistance. Napoléon avait abdiqué, on avait proclamé Napoléon II. Personne n’avait l’air de croire au sérieux de cette proclamation, pas même ceux qui l’avaient faite.

Un jour, nous entendîmes des clairons sonnant un air étranger, et nous vîmes déboucher, sur la place de la ville, cinq ou six mille hommes.

C’étaient des Prussiens du grand-duché de Bade, vêtus de ces charmants uniformes auxquels on ne pouvait faire que ce reproche, d’être trop élégants pour des uniformes militaires.