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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/118

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je l’avais porté sur mon dos pendant huit ou dix lieues.

 Il va sans dire qu’au milieu des railleries qui brodent toujours un dîner de chasseurs, une bonne part fut envoyée à mon adresse. Les évolutions auxquelles je m’étais livré ; tous les lièvres me passant, par cette intuition que mon fusil était chargé avec de la terre ; aucun lièvre ne me passant plus du moment où mon fusil se trouvait en état ; tout cela, sans compter mon visage, griffé par le lièvre dans ma lutte corps à corps avec lui, tout cela était un admirable texte à quolibets.

Mais une chose me fit oublier toutes ces railleries et tous ces quolibets, pour me plonger dans l’extase d’un ineffable bonheur.

La série de plaisanteries dont j’avais été l’objet s’était terminée par cette phrase de M. Deviolaine :

— N’importe ! je t’emmènerai jeudi à la chasse au sanglier, pour voir si tu prendras à bras-le-corps ces messieurs-là comme tu prends les lièvres.

— Bien vrai, cousin ?

— Bien vrai.

— Mais… la, parole d’honneur ?

— Parole d’honneur.

Et ma joie avait été si grande à cette promesse, que j’avais quitté la table et que j’étais allé, dans la cour, agacer un magnifique taureau qui ne songeait nullement à moi, et qui, lassé de mes agaceries, m’eût éventré si je ne fusse pas rentré dans la cuisine en sautant par-dessus une de ces demi-portes à claire-voie, comme il y en a dans presque toutes les fermes.

Le taureau me suivait de si près, qu’il passa sa tête au-dessus de la demi-porte et poussa un rugissement qui fit retentir toute la maison.

Mais madame Moquet prit tranquillement, dans la cheminée, un tison tout brûlant, et alla le mettre sous le nez du taureau, lequel se retira pendant cinq ou six pas à reculons, fit quatre ou cinq bonds gigantesques et disparut dans l’étable.

Je n’avais pas l’habitude de me vanter de ces sortes de prouesses ; au contraire, quand quelque chose de pareil m’ar-