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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/126

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Nous n’avons pas voulu dire, pour cela, que Moinat ne fût pas un excellent tireur, à balle comme à plomb ; mais Mildet s’était, pendant un assez long séjour en Allemagne, fait au tir à balle une véritable spécialité. Je l’ai vu clouer sur le tronc d’un chêne un écureuil qui, de toute sa vitesse, grimpait au long de ce tronc. Je l’ai vu placer un fer à cheval contre un mur, et mettre six balles dans les six trous du fer à cheval. Je l’ai vu, dans un tir à la carabine où il y avait douze balles à tirer, faire un cordon autour du noir avec les onze premières balles, et enfoncer la broche avec la douzième.

Après eux venait Berthelin, l’oncle de Choron, qui tirait sûrement les trois quarts de ses coups ; puis, après Berthelin, on tombait dans le commun des martyrs.

Du temps de l’empereur, on avait fort conservé le gros gibier dans la forêt de Villers-Cotterets. Au premier retour des Bourbons, à peine si M. le duc d’Orléans, à qui cette forêt avait été vendue comme forêt apanagère, avait eu le temps de donner des ordres à ce sujet. Mais, après la seconde restauration, — moitié par opposition, moitié par pertes réelles, — les propriétaires riverains, s’étant beaucoup plaints des dégâts causés par la grosse bête, et ayant fait force procès à cet endroit, les ordres les plus sévères furent donnés à M. Deviolaine pour détruire les sangliers.

De pareils ordres sont toujours bien reçus des gardes. Le sanglier étant un gibier royal, ils n’ont pas le droit de tirer dessus, ou, quand ils tirent dessus par hasard, c’est qu’on leur en demande pour la bouche. Alors, le coup de fusil leur est purement et simplement payé vingt-quatre sous, je crois ; mais, dans des cas de destruction, la bête appartenant de droit à celui qui la tue, un sanglier dans le saloir est, comme on le comprend bien, un fameux surcroît aux provisions d’hiver.

Les chasses avaient donc commencé depuis deux mois, quand M. Deviolaine me fit cette fameuse invitation qui me causait tant de joie.

Il se mêlait bien à cette joie une arrière-idée de danger : ces braves sangliers, qu’on laissait tranquilles depuis trois ou quatre ans, avaient crû et multiplié ; si bien que, croissant et