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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/127

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

multipliant, les vieux étaient arrivés à des tailles gigantesques ; les jeunes à un nombre infini. On les rencontrait dans la forêt par bandes de douze et de quinze, et on en avait tué, l’hiver, jusque dans les jardins potagers de la ville.

Aussi, il s’était fait parmi les riverains de la forêt une espèce de proverbe, par demandes et par réponses :

Demande. — Quand on plante des pommes de terre à cinq cents pas de la forêt, savez-vous ce qu’il y vient ?

Réponse. — Eh bien, mais… il y vient des pommes de terre.

Réponse à la réponse. — Non ! il y vient des sangliers.

Et les plus grands contradicteurs étaient obligés de dire : « C’est vrai. »

Or, ces chasses duraient depuis le 15 septembre, c’est-à-dire depuis quatre mois, à peu près.

Pendant ces quatre mois, Choron s’était révélé par des merveilles. Donc, quand le rendez-vous de la chasse était à la Maison-Neuve et quand Choron était chargé de détourner le sanglier, c’était double fête, car on était sûr de ne pas faire buisson creux ; il est vrai qu’on faisait une lieue et demie à pied avant d’être à la Maison-Neuve. Mais, en arrivant au détour de cette belle route taillée au beau travers de la forêt, on apercevait de loin Choron, debout sur le chemin, à quatre pas en avant de sa porte, son corps de chasse au poignet, saluant son inspecteur et son cortège d’un lancer ou d’un hallali plein de verve. Cela voulait dire que l’animal était mort, ou que l’inspecteur et son cortège étaient des mazettes.

Puis, dans la maison, on trouvait cinq ou six bouteilles de tisane, comme Choron appelait son vin blanc ; des verres scrupuleusement rincés par une charmante ménagère, et un pain de dix livres qui semblait pétri avec de la neige. On mangeait un morceau de ce pain avec un morceau de fromage ; on faisait un compliment à madame Choron sur son pain, sur son fromage et sur ses yeux, et l’on se mettait en chasse.

Disons, en passant, que Choron adorait sa femme, et, sans motif aucun, en devenait de jour en jour plus jaloux. Ses camarades le plaisantaient parfois sur cette jalousie croissante ; mais la plaisanterie d’ordinaire était courte : Choron devenait