Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

fenêtre égayée par un rayon de soleil d’hiver ; au pied de ce lit, une autre fenêtre, afin qu’on pût, sans sortir, inspecter les deux côtés de la route ; un bahut plein de plats à grandes fleurs, et une collection complète d’animaux à quatre pattes et d’oiseaux empaillés.

Parmi ces animaux, il y avait un affreux chien de berger, de la couleur d’un loup, le poil hérissé, les yeux sanglants, la gueule ouverte et baveuse.

Choron disait qu’il n’avait eu peur qu’une fois dans sa vie, et il avait éternisé la cause de sa peur.

La cause de sa peur, c’était ce chien.

Ce chien, avant d’être un chien empaillé, était un chien enragé.

Choron taillait des arbres dans son petit jardin, situé en face de sa maison, quand il vit tout à coup ce chien qui faisait effort pour passer à travers sa haie ; il comprit aussitôt, à l’aspect de ces yeux ardents, de cette bouche écumante, que l’animal était enragé, et il prit sa course vers la maison. Mais, si bien que courût Choron, le chien courait mieux encore ; de sorte que Choron n’eut ni le temps de fermer sa porte derrière lui, ni celui de prendre son fusil, pendu à la cheminée. Tout ce qu’il put faire, fut de sauter sur son lit, et de rouler la couverture autour de son corps, pour parer autant que possible aux morsures. Le chien sauta sur le lit presque en même temps que Choron, et se mit à mordre au hasard ce ballot de laine, au centre duquel était un homme. Mais tout à coup Choron développa la couverture dans toute sa largeur, roula à son tour le chien dedans, et, tandis que celui-ci se débattait, sauta sur son fusil, et, à bout portant, lâcha les deux coups à travers la couverture, qui se teignit de sang, puis se bossela convulsivement pendant quelques secondes. Mais bientôt les ondulations diminuèrent, et enfin cessèrent tout à fait, pour faire place aux derniers frémissements de la vie qui s’éteint. Choron déroula la couverture : l’animal était mort.

Choron avait empaillé le chien, et l’avait monté sur la couverture sanglante, qu’il mordait à belles dents.