Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

En voyant l’animal, tout empaillé qu’il était, on comprenait que Choron eût eu peur.

J’examinai tous les animaux les uns après les autres. Je me fis raconter leur histoire, depuis celle du premier jusqu’à celle du dernier. Je mangeai, tout en questionnant, un morceau de pain et de fromage ; je bus, tout en écoutant, deux verres de vin, et je me trouvai prêt à partir encore avant les autres.

En sortant, M. Deviolaine me montra, au jardin de Choron, une porte de six pieds de haut, par-dessus laquelle il avait, au moment de la construction de la maison, vu sauter mon père, tout souffrant qu’il était à cette époque.

Cette tradition était arrivée jusqu’à Choron, qui avait plus d’une fois essayé d’en faire autant, sans jamais avoir pu y réussir.

Ce qu’il y avait de particulier à ces chasses, composées en grande partie de gardes, c’était l’absence complète de craques ; — que l’on me pardonne ce mot, il est consacré entre-chasseurs. — Chacun connaissait trop bien son voisin, et était trop bien connu de lui, pour lui en imposer, par quelques-uns de ces honnêtes mensonges dont les habitués de la plaine Saint-Denis rehaussent leur mérite ; on savait quels étaient les forts et les faibles, et l’on rendait toute justice aux forts.

Mais aussi, l’on était impitoyable pour les faibles…

Au premier rang de ceux-ci, était un nommé Niquet, surnommé Bobino, à cause de sa passion — nous parlons de son jeune âge, bien entendu, — pour le jeu de toupie qui porte ce nom. Il avait la réputation d’être un homme d’esprit ; mais, à cette réputation, il joignait celle, non moins méritée, d’être le plus maladroit tireur de la troupe.

On racontait donc les prouesses de Choron, de Moinat, de Mildet et de Berthelin ; mais on raillait à mort le pauvre Bobino.

Ce à quoi il répondait par les coq-à-l’âne les plus plaisants, auxquels son accent provençal donnait une allure tout à fait amusante.

Ce jour-là, M. Deviolaine avait jugé à propos de changer le sujet de la raillerie, sans en changer l’objet. C’était toujours