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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/135

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

À peine avait-il achevé ces paroles, qu’il roulait à dix pas de là, le nez dans la poussière, et son brûle-gueule brisé entre ses dents.

Nous nous écartâmes tous, nous demandant s’il y avait tremblement de terre.

Point. — Le sanglier, qui n’était, à ce qu’il paraît, qu’étourdi par le coup, venait de se relever, rappelé à la vie par la saignée que lui avait faite François ; et, après s’être débarrassé, comme nous venions de le voir, du fardeau qui pesait sur lui, se tenait debout, mais chancelant sur ses quatre pattes, comme s’il eût été ivre.

— Ah ! pardieu ! dit M. Deviolaine, laissez-le faire ; il serait curieux que celui-là en revînt !

— Eh ! non ! eh ! non ! ne le laissez pas faire, cria Choron cherchant son fusil, qu’il avait déposé dans un fossé pour rattacher son limier ; tirez dessus, au contraire, tirez dessus ! Je connais ces paroissiens-là, ils ont la vie dure. Tirez dessus, morbleu ! et plutôt deux coups qu’un, ou il nous échappe !

Mais il était déjà trop tard. Les chiens, en voyant le sanglier se relever, s’étaient jetés sur lui, les uns le tenant aux oreilles, les autres aux cuisses ; tous, enfin, réunis après sa peau, le couvraient si complètement, qu’il n’y avait pas une place sur son corps large comme un écu où l’on pût loger une balle.

Pendant ce temps, le sanglier gagnait tout doucement le fossé, entraînant avec lui la meute ; puis il entra dans le fourré, puis il disparut, poursuivi par Bobino, qui s’était relevé furieux, et qui voulait à toute force avoir raison de l’affront reçu.

— Arrête, arrête ! criait Choron, arrête-le par la queue, Bobino ! arrête, arrête !

Tout le monde se tordait de rire.

On entendit deux coups de fusil.

— Allons, bon ! dit Choron, voilà l’animal qui va tuer nos chiens, maintenant !

Mais on n’entendit aucun cri qui indiquât que la funeste prophétie de Choron se fût réalisée.