Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Mais il faut soigner cette blessure-là, Choron !

— Soigner cela ? Ah bien, voilà grand’chose ! S’il faisait du vent, ce serait déjà séché.

Et, sur ce, Choron, rouvrant son couteau, fit la curée de l’animal aussi tranquillement que si rien ne lui était arrivé.

À la chasse suivante, Choron revint, non plus avec un couteau, mais avec un poignard en forme de baïonnette, ayant une garde espagnole emboîtant toute la main. Il l’avait fait exécuter sous ses yeux par son frère, armurier à Villers-Cotterets.

Ce poignard-là ne pouvait ni se briser ni se fermer, et, poussé par le poignet de Choron, il fût entré jusqu’au cœur d’un chêne.

Alors, la scène que j’ai déjà décrite se renouvela ; seulement, le sanglier resta sur la place, égorgé comme un cochon domestique.

Il en fut ainsi à toutes les autres chasses ; si bien que ses camarades ne l’appelaient plus que le charcutier.

Et, chose étrange ! là où un autre que Choron eût laissé la vie, Choron n’attrapait pas une égratignure !

On eût dit qu’en se coupant le bout du doigt, il avait retranché la seule partie de son corps qui fût vulnérable.

Mais tout cela ne lui faisait pas oublier la mort de Berthelin ; il devenait de plus en plus sombre, et, de temps en temps, il disait à l’inspecteur :

— Voyez-vous, monsieur Deviolaine, tout cela n’empêche point qu’un jour il m’arrivera malheur ! Puis, tout bas, à ses amies, sa femme se plaignait de sa jalousie.

— Un jour ou l’autre, disait-elle, le malheureux me tuera, comme il a tué mon oncle Berthelin !

Dois-je finir tout de suite cette lamentable histoire de Choron ? Dois-je attendre, en suivant l’ordre des jours, que son dénoûment arrive naturellement et à son heure ?

Non, débarrassons-nous de cette tache sanglante faite aux premières pages du livre de ma jeunesse.