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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/145

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

on s’aperçut qu’au lieu de s’élancer, l’animal, au contraire, faisait un mouvement de recul. Choron se releva, tenant l’animal par les deux pieds de derrière, comme il eût fait d’une brouette, et le maintenant, malgré tous ses efforts, avec ce poignet de fer que nous lui connaissions, tandis que les chiens se jetant de nouveau sur lui, le couvraient de leurs corps comme d’un tapis mouvant et bigarré.

— Allons, Dumas, me dit M. Deviolaine, celui-là, c’est à toi ; va faire tes premières armes.

Je m’approchai du sanglier, qui, en me voyant venir, redoubla de secousses ; faisant claquer ses mâchoires, et me regardant avec des yeux ensanglantés, mais il était pris dans un véritable étau, et tous ses efforts ne purent le dégager.

Je lui introduisis le bout du canon de mon fusil dans l’oreille, et je fis feu.

La commotion fut si violente, que l’animal s’arracha des mains de Choron, mais ce ne fut que pour aller rouler à dix pas de là : balle, bourre et feu, tout lui était entré dans la tête, et je lui avais littéralement brûlé la cervelle.

Choron poussa un grand éclat de rire.

Allons, allons, dit-il, je vois qu’il y a encore du plaisir à prendre sur la terre !

— Oui, dit M. Deviolaine, effrayé de ce qu’il venait de voir. Seulement, si tu procèdes de cette manière-là, mon garçon, tu pourras bien ne pas t’amuser longtemps… Mais qu’as-tu donc à la main ?

— Rien, une égratignure : le gredin avait la peau si dure que mon couteau s’est refermé.

— Oui, et, en se refermant, il t’a coupé le doigt, dit M. Deviolaine.

— Net, mon inspecteur, net !

Et Choron étendit sa main droite, à laquelle il manquait la première phalange de l’index.

Puis, au milieu du silence que cette vue produisit, s’approchant de M. Deviolaine :

— C’est trop juste, monsieur l’inspecteur, dit-il, c’est le doigt avec lequel j’ai tué mon oncle…