Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
146
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Coyolle, et, sur dix-neuf bécassines qu’il a tirées, il en a tué dix-sept.

— C’est gentil ! Je souhaiterais à Bobino d’en faire autant de ses deux mains. À propos, que devient-il ?

— Bobino ?

— Oui.

— Il a fait faire un sifflet pour ses chiens avec la queue de son sanglier, et il déclare qu’il n’aura de repos, en ce monde et dans l’autre, que lorsqu’il aura remis la main sur le reste de son animal.

— Alors, excepté le pauvre Choron, tout va bien ?

— Parfaitement.

— Vous dites que le rendez-vous… ?

— Est à six heures précises du matin, au bout des grandes allées, afin que tout le monde soit à sept heures à la Maison-Neuve.

— On y sera.

Et je quittai M. Deviolaine pour aller saluer tous mes vieux amis, serrer la main aux uns, embrasser les autres, et leur souhaiter du bonheur à tous.

Une des grandes joies de ce monde est d’être né dans une petite ville, dont on connaît tous les habitants, et dont chaque maison garde pour vous un souvenir. Je sais que c’est toujours une grande émotion pour moi que de retourner — même aujourd’hui que trente ans de travaux et de lutte ont passé sur mes jeunes années, et en ont enlevé la fraîcheur veloutée, — dans ce pauvre petit bourg, à peu près inconnu au reste du monde, et dans lequel j’ai tendu les bras aux premiers fantômes de la vie, fantômes aux fronts ceints d’auréoles ou couronnés de fleurs. Une demi-lieue avant d’être arrivé, je descends de voiture, je marche sur le revers de la route, je compte les arbres. Je reconnais ceux aux branches desquels j’ai accroché mes cerfs-volants, logé mes flèches, déniché des nids ; il y en a au pied desquels je m’assieds, et où, les yeux fermés, je me plonge dans quelque doux rêve qui me rajeunit de vingt ans ; il y en a que j’aime comme de vieux amis, et devant lesquels je m’incline en passant ; il y en a d’autres qui