Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
176
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

obstinément la presse pendant toute la dernière partie du xviiie siècle.

À compter de ce moment, je découvris en moi une vocation que je ne m’étais jamais reconnue, ni même soupçonnée jusque-là : celle de devenir un second Faublas.

Il est vrai que je l’abandonnai vite, et que, sur la liste des nombreux défauts qu’on m’a reprochés, on n’a jamais inscrit la fatuité.

J’avais donc une magnifique théorie de la séduction toute faite, quand arriva le dimanche de la Pentecôte, et quand je fus présenté, avec mon habit bleu barbeau et mes culottes de nankin, aux deux charmantes Parisiennes.

L’une, mademoiselle Laurence, grande, mince, à la taille flexible, au caractère moitié railleur, moitié indolent, blonde de cheveux, fraîche de peau, mise avec cette grâce élégante des Parisiennes, était, comme je l’ai dit, la nièce du bon abbé.

L’autre, mademoiselle Vittoria, pâle, grasse, légèrement touchée de petite vérole, hardie de poitrine, cambrée de hanches, ardente de regard, représentait assez exactement, par la matité de son teint, le velouté de ses yeux, la souplesse de sa taille, le type espagnol de Madrid.

Soit que je crusse devoir, par le choix qu’avait fait d’avance de moi M. Grégoire, me consacrer plus spécialement à sa nièce, soit que cet air de douce candeur répandu sur son visage m’eût séduit au premier abord, c’est à mademoiselle Laurence que je consacrai mes premiers soins.

C’est donc à elle que j’offris mon bras, lorsque, après le dîner, il fut question d’aller faire une promenade dans le parc.

Je ne dissimulerai pas que j’étais fort gêné, et que cette gêne devait me rendre fort ridicule et fort maladroit. Ma mise, d’ailleurs, parfaite pour un enfant faisant sa première communion en 1816, était un peu excentrique pour un jeune homme faisant ses premiers pas dans le monde en 1818. La culotte, à cette époque, n’était plus portée que par les obstinés. Or, les obstinés, portant la culotte, appartenaient presque tous au siècle précédent ; il en résultait que moi, presque