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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/186

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Mon cher ami, je ne vous dirai pas : « Vous êtes plus heureux qu’amoureux, » car vous me paraissez fort amoureux ; mais je vous dirai : « Mon cher ami, vous tombez à merveille ! » j’en ai justement deux paires.

Et il tira de sa poche une seconde paire de gants, neuve comme la première, tout en me donnant celle qu’il était en train d’essayer.

Ce luxe inouï m’étonna.

— Pourquoi deux paires de gants ? lui demandai-je.

— Mais parce que la première peut crever en la mettant, me répondit-il avec la plus grande simplicité, et comme étonné que je lui fisse une pareille question.

Cette réplique m’atterra ; elle m’ouvrait des horizons de prodigalité inconnus ; il y avait donc des gens qui avaient la précaution de prendre deux paires de gants, quand il y en avait d’autres qui n’avaient pas même songé à se munir d’une seule !

— Avez-vous un vis-à-vis ? demandai-je à Fourcade.

— Non, j’arrive.

— Voulez-vous être le mien ?

— Parfaitement.

— En place pour la contredanse ! cria le ménétrier en chef.

Je m’élançai vers Laure, et lui présentai fièrement ma main gantée.

Fourcade invita sa voisine Vittoria.

Nous nous mîmes en place. Fourcade et moi, nous étions les deux seules culottes courtes du bal.

Nous faisions l’un et l’autre nos débuts : Fourcade était arrivé depuis quinze jours à peine à Villers-Cotterets, et les danses en plein air ne commençaient qu’à la Pentecôte.

Cette solennité, jointe à nos deux culottes courtes, attirait bon nombre de regards.

Les moins curieux n’étaient pas ceux de nos Parisiennes.

Les figures commencèrent.

J’ai dit mon aptitude aux exercices du corps. J’avais eu un maître de danse comme j’avais eu un maître d’armes, c’est-à-dire par raccroc ; mon maître de danse avait été un nommé