Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
182
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Arrivé derrière ma Parisienne :

— C’est moi, mademoiselle Laure, dis-je.

— Ah ! tant mieux ! répondit-elle ; en vous voyant partir ainsi, je craignais qu’il ne vous fût arrivé quelque accident !

La conversation prenait, du premier coup, une tournure assez embarrassante.

— En effet, mademoiselle, répondis-je en balbutiant, je m’étais aperçu que…

— Que vous aviez oublié vos gants ; je comprends cela. Vous ne vouliez pas danser sans gants, et vous aviez raison.

Je jetai les yeux sur mes mains nues, et je devins pourpre. Je portai machinalement mes mains à mes poches.

Hélas ! je n’avais pas de gants.

Je fis un pas en arrière, et jetai avec égarement les yeux autour de moi.

Un jeune homme, nommé Fourcade, envoyé de Paris pour établir et diriger à Villers-Cotterets une école d’enseignement mutuel, était justement à quatre pas de moi, occupé à mettre avec assez de difficulté une paire de beaux gants tout neufs, dont il venait évidemment de faire, un quart d’heure auparavant, l’acquisition.

Fourcade était un charmant garçon qui m’avait, malgré notre différence d’âge, pris en affection. Il appartenait presque autant au siècle qui venait de finir qu’à celui qui commençait ; il en résultait que, comme moi, Fourcade portait une culotte de nankin et un habit bleu barbeau.

Cette similitude dans nos costumes eût achevé de me donner toute confiance en lui, quand bien même cette confiance n’eût pas existé antérieurement.

— Mon cher ami, dis-je, rendez-moi un énorme service.

— Lequel ?

— Donnez-moi vos gants.

— Mes gants ?

— Oui, j’ai invité à danser mademoiselle Laurence, cette jeune fille qui est là assise, et je me suis aperçu, au moment de me mettre en place, que j’ai oublié mes gants. Vous comprenez la situation ?…