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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/189

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ma valseuse s’arrêta court ; je crus qu’elle allait suffoquer à force de rire.

— En vérité, me dit-elle, quand elle eut repris la faculté de parler, vous êtes un drôle de garçon, et je vous aime beaucoup… Valsons.

Et nous nous élançâmes de nouveau dans le tourbillon, qui nous emporta avec lui.

C’était, je l’ai dit, la première fois que je valsais avec une femme ; c’était la première fois que je respirais une haleine parfumée, que je sentais des cheveux passer sur mon visage, que mes yeux s’arrêtaient, plongeant dans des épaules nues ; que mon bras enlaçait une taille rebondie, cambrée, mouvante. Je poussai une espèce de soupir frémissant et joyeux.

— Eh bien, me demanda ma valseuse en fixant sur moi cet œil espagnol qui brille même à travers les dentelles d’une mantille, qu’avez-vous ?

— J’ai, répondis-je tout en valsant, j’ai que je trouve qu’il est bien plus agréable de valser avec vous qu’avec une chaise.

Pour cette fois, elle m’échappa des mains, et alla s’asseoir près de sa compagne.

— Eh bien, qu’as-tu donc ? demanda Laurence.

— Ah ! ma chère, qu’il est drôle !

— C’est singulier, il ne m’a pas fait cet effet, à moi.

— C’est que tu n’as pas valsé avec lui, répondit-elle à demi-voix ; quant à moi, je te jure que je le trouve charmant. Allons, continua-t-elle en revenant d’elle-même se placer dans mon bras, encore un tour.

Je ne demandais pas mieux.

Nous reprîmes notre rang.

J’ignore le succès que j’eus pour mon compte, mais ma valseuse en eut un immense. Cette taille souple et frémissante, habituée à la cachucha et au fandango, infiltrait dans la valse française une partie de cette voluptueuse énergie qui appartient essentiellement à la danse espagnole ; quelque chose d’électrique jaillissait de tout son corps, onduleux comme celui d’un serpent ; elle avait cette qualité des Andalouses, qui