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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/191

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pour la première fois ; criait à l’enfant : « Courage ! tu es homme ! »

Le premier besoin que j’éprouvai fut celui de la solitude.

Les musiciens jouèrent les premiers accords d’une contredanse ; chacun s’élança pour prendre la main de sa danseuse. Fourcade me fit de la tête un signe interrogateur, qui signifiait : « Me faites-vous toujours vis-à-vis ? » Je répondis par un signe négatif, et, comme les deux Parisiennes allaient prendre leur place avec deux nouveaux danseurs, je m’éloignai.

Il me serait impossible de dire ce qui me traversa l’esprit pendant l’heure qui s’écoula, et que je passai à rêver. Toute ma vie d’enfant venait de disparaître comme, dans un tremblement de terre, disparaissent villages et villes, vallées et montagnes, lacs et rivières : le présent seul m’apparaissait, chaos immense rayé par des lueurs fugitives qui n’éclairaient ni comme ensemble, ni comme détail : rien d’assez positif pour être saisi, soit par les regards de mon corps, soit par ceux de mon esprit.

La seule chose positive, incontestable, réelle, c’est que, depuis un quart d’heure, j’aimais.

Qui ?

Personne encore… l’Amour.

Je revins au bout d’une heure.

— Vous êtes charmant ! me dit Vittoria, vous m’invitez à valser, et vous vous en allez.

— C’est vrai, lui répondis-je ; mais pardonnez-moi, j’avais oublié.

— Vous êtes poli.

Je souris.

— Je vous assure, lui dis-je, que ce n’est point par impolitesse.

— D’où venez-vous, au moins ?

— Vous voulez le savoir ?

— Il me semble que j’en ai bien le droit.

— Tenez, lui dis-je, voyez-vous d’ici cette belle allée si sombre ?

— Oui ; après ?…