Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
191
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

plus jeune que sa sœur de trois ou quatre ans, plus jolie, et surtout plus coquette qu’elle. Cette coquetterie, fort innocente, je n’en doute pas, était en général assez mal interprétée par les caquets de la petite ville ; ce dont, dans son innocence, s’inquiétait peu madame Lebègue ; ce dont, dans son insouciance, se raillait philosophiquement son mari.

Ce mari était gros, rond, grêlé, assez laid, et assez vulgaire de figure, mais brave homme au fond, quoiqu’on m’ait assuré — depuis qu’il s’était ruiné, non pas pour avoir prêté à trop bas intérêt, mais par une raison toute contraire.

J’ignore complètement la vérité de cette accusation, et je la tiens pour une calomnie, comme cette autre accusation, plus gracieuse, et surtout plus philanthropique, qui pesait sur sa femme.

Voilà l’homme qui venait d’entrer, qui s’était assis près de N. Mennesson, et qui, pour le moment, tenait avec lui une conversation à voix basse, entremêlée de quelques éclats de rire.

Grâce à une suprême finesse d’oreille dont m’avait doué la nature, et que j’avais perfectionnée à la chasse, il me semblait avoir entendu prononcer mon nom ; cependant j’avais cru à une erreur d’acoustique, ne supposant pas que deux si graves personnages pussent me faire l’honneur de s’occuper de moi.

Malheureusement pour mon amour-propre, — et j’ai dit à quel point était développé chez moi ce sentiment, qui serait si ridicule s’il n’était si douloureux, — malheureusement pour mon amour-propre, je ne pus douter longtemps.

J’ai dit que M. Mennesson était fort moqueur et assez spirituel ; partout où il trouvait à mordre, il enfonçait sa dent : vertu de femme, réputation d’homme, peu lui importait ! Quand la rage mue de la raillerie s’emparait de lui, il s’en donnait à cœur joie ét en pleine chair.

Ce jour-là, n’ayant probablement pu rien trouver à mordre, il s’en prenait à moi, la pâture était maigre, mais enfin mieux valait faire craquer mes pauvres os que de mâcher à vide et de gueuleter l’air.

Donc, après quelques-uns de ces chuchotements et de ces