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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/206

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

un pays, mordent dans les fruits à la saveur amère, lesquels néanmoins laissent aux dents qu’ils ont agacées l’irrésistible désir de mordre dans d’autres fruits, — après avoir effleuré des dents à peine cette pomme d’Ève qu’on nomme l’amour, j’avais hâte de faire un second essai, dût-il être plus douloureux encore que le premier.

Au reste, sous le rapport de ses jeunes filles, peu de villes pouvaient se vanter d’être aussi favorisées que Villers-Cotterets.

Jamais grand, parc, fût-ce celui de Versailles, jamais vertes pelouses, fût-ce celles de Brighton, ne furent émaillés de plus ravissantes fleurs que le parc de Villers-Cotterets, que les pelouses de son Parterre. Trois classes bien distinctes se disputaient cette couronne de beauté, que se plaît encore parfois à décerner l’Angleterre : l’aristocratie, la bourgeoisie, et je ne sais comment appeler cette troisième classe, intermédiaire charmant entre la bourgeoisie et le peuple, qui n’était ni l’une ni l’autre, et qui exerçait dans la ville les professions de faiseuses de modes, de lingères, de marchandes.

La première classe était représentée par la famille Collard, dont j’ai déjà tant parlé à propos de mon enfance. Des trois folâtres jeunes filles, errantes dans le parc de Villers-Cotterets, libres comme les papillons et les hirondelles, deux étaient devenues femmes : l’une, Caroline, avait épousé le baron Capelle ; l’autre, Hermine, avait épousé le baron de Martens ; la troisième, Louise, qui n’avait encore que quinze ans, était restée la plus ravissante tête de vierge qu’il fût possible de voir.

Leur mère — cette fille de madame de Genlis et du duc d’Orléans, dont j’ai raconté la naissance et l’histoire, était, avec ses trois enfants, le centre aristocratique autour duquel venaient se grouper les jeunes gens et les jeunes filles des châteaux environnants. C’était, en hommes surtout, ce qu’il y avait de mieux alors en élégance : les Montbreton, les Courval, les Mornay.

Rien de tout ce monde-là n’habitait Villers-Cotterets ; on restait dans les châteaux. Aux grandes solennités seulement, les ruches essaimaient, et l’on voyait, se répandre dans les