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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/218

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

chez lui, au contraire, c’était le pantalon qui recouvrait les bottes.

Ce jeune homme, grand, brun, sec, aux cheveux noirs, coupés en brosse, aux yeux admirables, au nez fortement accentué, aux dents blanches comme des perles, à la démarche nonchalante et aristocratique, était le vicomte Adolphe Ribbing de Leuven, futur auteur de Vert-Vert et du Postillon de Longjumeau, et fils du comte Adolphe-Louis Ribbing de Leuven, l’un des trois seigneurs suédois inculpés dans le meurtre de Gustave III, roi de Suède.

C’était une vieille et noble famille que celle de ces comtes Ribbing de Leuven, habitués à soutenir les luttes royales, et à traiter de majesté à majesté avec les puissants de la terre.

Ce fut un Ribbing qui se leva en 1520 contre le tyran Christiern, qui avait fait égorger ses deux enfants.

Il y avait une triste et mélancolique légende dans la famille : c’était celle de ces deux enfants, décapités, l’un à douze ans, l’autre à trois ans.

Le bourreau venait de trancher la tête à l’aîné et s’emparait du second pour l’exécuter à son tour, lorsque le pauvre petit lui dit de sa douce voix :

— Oh ! je t’en prie, ne salis pas ma collerette, comme tu viens de le faire à mon frère Axel, car maman me gronderait.

Le bourreau avait deux enfants, juste du même âge que ceux-là. Ému à ces paroles, il jeta son épée, et se sauva tout éperdu.

Christiern envoya à sa poursuite des soldats, qui le tuèrent.

Le père d’Adolphe, que j’ai beaucoup connu depuis, et qui m’aimait comme son second enfant, était alors un homme de cinquante ans, d’une distinction suprême, d’un esprit charmant, quoiqu’un peu railleur, d’un courage à toute épreuve.

Il avait été élevé à l’école militaire de Berlin, était venu très-jeune en France, en qualité de capitaine, dans un de ces régiments étrangers que le roi Louis XVI avait à sa solde, et qui lui firent d’autant plus de tort, qu’ils le défendirent plus loyalement. Il avait été présenté à Marie-Antoinette par le