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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/219

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

comte de Ferson, et, sous les auspices de l’illustre favori, il avait été admirablement reçu par la reine.

Il avait, au reste, gardé de la pauvre Marie-Antoinette un souvenir tout de respect et de vénération, et, trente ans après sa mort, je l’ai souvent entendu parler d’elle avec une voix pleine de larmes.

Il fut rappelé en Suède vers la moitié de l’année 1791. Fiancé à une de ses cousines qu’il adorait, il croyait revenir pour l’épouser, lorsque, à son arrivée à Stockholm, il apprit qu’un ordre du roi Gustave II avait disposé de sa main, et qu’elle était la femme du comte d’Essen.

Dans un premier mouvement de désespoir, le comte Ribbing provoqua le mari. Un duel s’ensuivit, et le comte d’Essen tomba, la poitrine traversée, d’un coup d’épée qui le cloua pendant six mois sur son lit.

La Suède, à cette époque, était dans un grand trouble ; le roi venait de forcer la Diète d’accepter l’acte d’union et de sûreté. C’était à Geft que s’était accompli ce coup d’État, qui investissait le roi seul du droit de paix et de guerre.

Au reste, depuis longtemps, la lutte existait entre la royauté et l’aristocratie. Marié, en 1766, à Sophie-Madeleine de Danemark, le roi n’avait pas encore d’héritier de sa couronne en 1776. Or, la noblesse suédoise attribuait la stérilité de la reine aux mêmes causes que celle de Louise de Vaudemont, femme de Henri III. Comme le dernier des Valois, Gustave avait des favoris dont la familiarité faisait tenir sur le prince les propos les plus étranges. Les seigneurs décidèrent, en conséquence, un beau jour, qu’il serait fait au roi des remontrances sur la stérilité de la reine, et qu’il serait supplié de faire cesser cette stérilité par tous les moyens qu’il aurait en son pouvoir.

Gustave promit d’aviser.

Alors on dit qu’il se passa une chose étrange.

Le soir même du jour où il avait engagé sa parole aux seigneurs suédois, il prit son écuyer Monk, le conduisit au lit de la reine, et, là, devant la pauvre femme, toute rougissante, il lui exposa le service qu’il demandait de lui, et sortit en l’enfermant dans la chambre royale.