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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/245

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de mariage et à mes obligations et transports de chez maître Mennesson.

Au reste, il s’était fait dans l’étude un changement tout à l’avantage de mon éducation littéraire, s’il était au désavantage de mon éducation notariale. Niguet, ce fameux maître clerc qui avait dénoncé à M. Mennesson tous mes désappointements amoureux, avait acheté, dans une petite ville voisine de la nôtre, une étude que Lafarge, je crois, avait été obligé de revendre, n’ayant pas trouvé de femme qui la lui payât ; et Paillet, un de mes amis, plus âgé que moi de six ou huit ans, avait succédé à Niguet, en qualité de maître-clerc.

Paillet était riche ; Paillet avait une charmante propriété à deux lieues de Villers-Cotterets ; Paillet avait des goûts de luxe ; par conséquent, il me pardonnait bien plus facilement que Niguet, vieux basochien sans caprices et tout entier à son affaire, le seul luxe que je pusse me donner : celui de la chasse, de la danse et de l’amour.

Il en résultait qu’au lieu de m’encourager dans la voie étroite et ardue du notariat de province, Paillet me permettait d’ouvrir mes yeux vers tous les horizons, comprenant instinctivement, sans doute, que celui qu’on me faisait n’était pas le mien.

On verra, de son côté, — à part l’influence morale de la Ponce et de Leuven, — quelle influence matérielle Paillet eut sur ma destinée.

J’étais donc parfaitement heureux de l’amour de ma mère, d’un amour plus jeune et plus doux, naissant à côté de celui-là sans lui nuire, de l’amitié de la Ponce et de Paillet, quand de Leuven vint compléter ce bien-être, auquel ne manquait que cette médiocrité dorée dont parle Horace, pour ne me laisser à peu près rien à désirer.

On apprit tout à coup que M. Deviolaine se retirait avec sa famille dans sa propriété de Saint-Remy, et louait sa maison de Villers-Cotterets au comte de Ribbing.

Ainsi, cette maison dans laquelle j’avais été élevé, cette maison peuplée pour moi d’un monde de souvenirs, passait des mains d’un parent aux mains d’un ami.