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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/253

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J’ai dit que, pour moi, la question littéraire était complètement absente. J’ignorais même qu’il existât, de par le monde, un auteur nommé Shakspeare, et, lorsque, à mon retour, instruit par Paillet qu’Hamlet n’était qu’une imitation, je prononçai devant ma sœur, qui connaissait l’anglais, le nom de l’auteur de Roméo et de Macbeth, je le prononçai comme je l’avais vu écrit, ce qui me valut une de ces longues railleries que ma sœur ne m’épargnait jamais à l’occasion.

Il va sans dire que cette occasion, je la lui fournissais à lui faire plaisir.

En somme, comme l’Hamlet de Ducis ne pouvait pas perdre dans mon esprit par la comparaison, puisque je n’avais jamais entendu parler de celui de Shakspeare, l’Hamlet de Ducis, avec son entrée fantastique, son apparition visible à lui seul, sa lutte contre sa mère, son urne, son monologue, le sombre interrogatoire adressé par le doute à la mort ; l’Hamlet de Ducis me parut un chef-d’œuvre, et me produisit un effet prodigieux.

Aussi, en revenant à Villers-Cotterets, la première chose que je fis fut-elle de réunir les quelques francs échappés au voyage de Soissons, et d’écrire à Fourcade — qui avait cédé sa place à ce même Camusat dont j’ai parlé à propos du père Hiraux, et qui était retourné à Paris, — de m’envoyer la tragédie d’Hamlet.

Fourcade, je ne sais pourquoi, tarda cinq ou six jours à me l’envoyer ; mon impatience était si grande, que je lui écrivis une seconde lettre, pleine des plus vifs reproches sur son défaut de complaisance et d’amitié.

Fourcade, qui n’aurait jamais pu croire qu’on accusât un homme d’être un mauvais ami, parce qu’il ne se hâtait pas d’envoyer Hamlet, me répondit une lettre charmante, mais dont je ne pus comprendre l’esprit que lorsqu’une étude plus approfondie du bon et du mauvais m’eut mis à même de classer l’œuvre de Ducis au rang qui lui était dû.

Quoi qu’il en soit, je devins fou ; je demandais à chacun :

— Connaissez-vous Hamlet ? Connaissez-vous Ducis ?

La tragédie arriva de Paris. Au bout de trois jours, je savais