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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/255

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Il avait attrapé, je ne sais pas où, une pièce de vers manuscrite contre les Bourbons. Il l’avait lue à toute la ville, et, après l’avoir lue à toute la ville, il venait, comme je l’ai dit, à mon retour de Soissons, de me donner l’ordre d’en faire deux ou trois copies pour deux de ses amis qui seraient, comme lui, curieux de posséder ce poétique pamphlet.

Je ne l’ai jamais vu imprimé, je ne l’ai jamais relu, depuis le jour où j’en fis trois copies, et cependant ma mémoire est telle, que je pourrais le dire d’un bout à l’autre.

Mais que le lecteur se rassure, je me contenterai d’en citer quelques vers.

Voici quel était le début :

Où suis-je ? qu’ai-je vu ? Les voilà donc, ces princes
Qu’un sénat insensé rendit à nos provinces ;
Qui devaient, abjurant les préjugés des rois,
Citoyens couronnés, régner au nom des lois ;
Qui venaient, disaient-ils, désarmant la victoire,
Consoler les Français de vingt-cinq ans de gloire !
Ils entrent ! avec eux, la vengeance et l’orgueil
Ont du Louvre indigné franchi l’antique seuil !
Ce n’est plus le sénat, c’est Dieu, c’est leur naissance,
C’est le glaive étranger qui leur soumet la France ;
Ils nous osent d’un roi reprocher l’échafaud :
Ah ! si ce roi, sortant de la nuit du tombeau,
Armé d’un fer vengeur venait punir le crime,
Nous les verrions pâlir aux yeux de leur victime !

Abandonnant les considérations générales pour la peinture particulière des individus, l’auteur s’écriait, — à cette époque, on s’écriait toujours, — l’auteur s’écriait, passant en revue la famille royale :

C’est d’Artois, des galants imbécile doyen,
Incapable de mal, incapable de bien ;
Au pied des saints autels abjurant ses faiblesses,
Et par des favoris remplaçant ses maîtresses ;
D’Artois, dont rien n’a pu réveiller la vertu,
Qui fuit à Quiberon sans avoir combattu,