Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
300
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ments de quinze ou dix-huit cents francs, car, être notaire, il n’y fallait pas songer ; d’abord, la vocation me manquait, et, depuis trois ans que je copiais des ventes, des obligations et des contrats de mariage, chez maître Mennesson, je n’étais guère plus fort en droit que je ne l’étais en musique, après trois ans de solfège chez le père Hiraux.

Il était donc évident que le notariat n’était pas plus ma vocation que la musique, et que je ne jouerais jamais mieux du code que du violon.

Cela désolait fort ma mère, à qui toutes ses bonnes amies disaient :

— Ma chère, écoutez bien ce que je vous prédis : votre fils est un grand paresseux, qui ne fera jamais rien.

Et ma mère poussait un soupir, et me disait en m’embrassant :

— Est-ce que c’est vrai, mon pauvre enfant, ce qu’on me dit de toi ?

Et, naïvement, je lui répondais :

— Dame ! je ne sais pas, moi, ma mère !

Que pouvais-je répondre ? Je ne voyais pas au delà des dernières maisons de ma ville natale, et, si je trouvais dans son enceinte quelque chose qui répondit à mon cœur, j’y cherchais vainement quelque chose, qui satisfit mon esprit et mon imagination.

De Leuven fit une brèche à cette muraille qui m’enveloppait, et, à travers cette brèche, je commençai d’apercevoir comme un but sans formes dans un horizon infini.

Pendant ce temps, de la Ponce opérait sur moi de son côté.

Je traduisais avec lui, comme je l’ai dit déjà, le beau roman italien, ou plutôt la belle diatribe italienne d’Ugo Foscolo, — cette imitation du Werther de Gœthe, dont l’auteur du poëme des Sépulcres est arrivé, à force de patriotisme et de talent, à faire une œuvre nationale.

En outre, de la Ponce, qui voulait m’inspirer le regret d’avoir abandonné l’étude de la langue allemande, m’avait traduit la belle ballade de Bürger, Lénore.

La lecture de cette œuvre, appartenant à une littérature