Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
311
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Décidément, Lafarge avait raison, et il fallait qu’Adolphe eût bien du temps à perdre pour avoir entrepris cette tâche à laquelle l’impossibilité seule pouvait ôter de son ridicule.

Mais Adolphe, avec son flegme anglo-allemand, avait bravement continué l’œuvre entreprise, et nous avions fait, tant bien que mal, un plan de vaudeville en un acte, intitulé le Major de Strasbourg.

Pourquoi le major de Strasbourg, plutôt que le major de la Rochelle ou de Perpignan ? C’est ce qu’il me serait impossible de dire. Quels étaient l’intrigue, le développement de cet embryon dramatique ? C’est ce que j’ai complètement oublié.

Mais ce que je n’ai pas oublié, parce que ce fut la première caresse faite à mon amour-propre, le voici :

C’était l’époque des pièces patriotiques ; une grande réaction intérieure se faisait contre nos revers de 1814, et notre défaite de 1815. Le couplet national faisait fureur, le chauvinisme était à la mode ; pourvu que l’on fît rimer, à la fin d’un couplet, Français avec succès, et lauriers avec guerriers, on était sûr d’être applaudi. Il est facile de comprendre que, de Leuven et moi, nous n’étions pas de force à innover et que nous devions nous contenter de suivre et d’adorer les traces de MM. Francis et Dumersan. Aussi, notre Major de Strasbourg était-il de la famille de ces dignes officiers en retraite, dont le patriotisme continuait de battre l’ennemi dans des couplets consacrés à la plus grande gloire de la France, et à venger Leipzig et Waterloo sur les champs de bataille du Gymnase et des Variétés.

Or, notre major, devenu simple laboureur, était surpris par un père et par un fils, lesquels arrivaient là, je ne saurais trop dire pourquoi, au moment où, au lieu de creuser son sillon, il venait de quitter sa charrue pour se livrer à une lecture dans laquelle peu à peu il s’absorbait tellement, qu’il ne voyait pas entrer ce père et ce fils ; — circonstance bien heureuse, puisque cette préoccupation du brave officier valait au public le couplet suivant :