Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
2
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tentait de l’appeler la Carrière, comme on appelait Rome la Ville — Urbs.

Quand, à l’aide d’une échelle, on avait descendu ces vingt-cinq ou trente pieds, quand, du terre-plein, on s’était laissé glisser par cette pente rapide pendant cinq ou six pas, on se trouvait à l’entrée d’un immense labyrinthe, près duquel celui du Crétois Dédale n’était qu’un jardin d’enfant à enfermer dans une boîte.

Qui avait creusé ces immenses catacombes ? quelle ville était sortie de ces profondeurs inconnues ? La chose eût été bien difficile à dire.

Sans doute, par des voies souterraines, elles communiquaient à quelque ouverture plus grande indiquant l’exploitation. Quant à l’ouverture par laquelle on pénétrait alors, c’était, comme nous l’avons dit, une simple crevasse, trop étroite pour avoir dégorgé jamais la quantité de pierres qui manquait aux flancs vides de la montagne.

C’était dans cette carrière que, pressée par la terreur, s’était réfugiée la moitié de Villers-Cotterets.

Là, au milieu d’un carrefour de granit, sous une voûte de granit, soutenue par des piliers de granit, à un quart de lieue à peu près de l’ouverture, à une profondeur de cent ou cent cinquante pieds, s’était établi un grand campement, une espèce de village habité par cinq ou six cents personnes.

Une des premières, ma mère avait été y choisir sa place, l’avait marquée, l’avait retenue. On y avait porté des matelas, des couvertures, une table et des livres.

Nous n’avions donc plus, à la première alerte, qu’à quitter Villers-Cotterets, et à nous réfugier dans la carrière.

Avant d’arriver à cette extrémité, ma mère voulait épuiser tous les moyens de conciliation ; et l’un de ces moyens de conciliation, celui qu’elle regardait comme le plus efficace, était son haricot de mouton et son vin du Soissonais.

Mais l’homme propose et Dieu dispose. Après trois jours d’attente sur le feu, après trois jours d’attente dans la cave, le haricot de mouton fut mangé et le vin fut bu par des Français.