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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/6

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

C’était le corps du maréchal Mortier, chargé de défendre, avec ce qui restait de la jeune garde et une douzaine de pièces de canon, le passage de la forêt.

Notre joie fut grande. Il était beau de voir, à la place des hideux Cosaques que nous attendions, ces beaux jeunes gens pleins d’espoir et de courage.

La jeunesse touche encore à Dieu, c’est ce qui fait qu’elle ne désespère jamais.

Il n’en était pas ainsi des vieux généraux, et surtout du duc de Trévise.

Dans tous ces hommes dont la fortune avait suivi celle de l’empereur, il y avait une lassitude étrange. C’est que leur position matérielle était faite ; c’est que, devenus maréchaux, ils étaient arrivés à l’apogée de leur fortune ; tandis qu’il restait toujours quelque chose à désirer à Napoléon, ce désireux de l’impossible.

Aussi, ceux qui ne se couchaient pas morts et sanglants sur les champs de bataille s’arrêtaient-ils sur la route de sa retraite, secouant la tête à sa course éternelle et fiévreuse, et disant : « C’est bon pour cet homme de fer ; mais, pour nous, il est impossible d’aller plus loin. »

Villers-Cotterets fut une de ces haltes où le duc de Trévise s’engourdit de fatigue. Dans la matinée, nous le vîmes passer à cheval, guidé par M. Deviolaine l’inspecteur, pour aller faire une reconnaissance dans la forêt.

Ma mère détacha la vieille cocarde tricolore qui était restée au chapeau de mon père, depuis la campagne d’Égypte, et la porta à M. Deviolaine avec une espingole.

M. Deviolaine mit la cocarde à son chapeau et l’espingole à l’arçon de sa selle.

Je vois encore le maréchal, ce vétéran de nos premières batailles, qui échappa, pendant toutes nos guerres, à la mitraille de la Prusse, de l’Angleterre, de la Russie et de l’Autriche, pour venir tomber au boulevard du Temple sous la machine infernale de Fieschi.

Il passait, le géant, tout courbé sur son cheval ; on eût dit