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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/98

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Sire, sire ! au nom de mes soldats, en mon nom, au nom de la France ! sire, venez ! nous vous attendons !

— Pourquoi faire ?

— Pour marcher à l’ennemi ; pour venger Waterloo ; pour sauver la France ! Venez, sire, venez !…

Un an après, le pied sur l’appui de la fenêtre de Longwood, un livre à la main comme à la Malmaison, Napoléon disait :

— L’histoire me reprochera de m’en être allé trop facilement. J’avoue qu’il y eut un peu de dépit dans ma résolution. Quand, à la Malmaison, j’ai offert au gouvernement provisoire de me remettre à la tête de l’armée, pour profiter de l’imprudence des alliés et les anéantir sous les murs de Paris, avant la fin de la journée, vingt-cinq mille Prussiens auraient mis bas les armes. On n’a pas voulu de moi. J’ai envoyé promener les meneurs, et je suis parti. J’ai eu tort : les bons Français ont le droit de me le reprocher. J’aurais dû monter à cheval, quand la division Brayer a paru devant la Malmaison ; me faire conduire par elle au milieu de l’armée ; battre l’ennemi, et prendre la dictature de fait, en appelant à moi le peuple des faubourgs de Paris. Cette crise de vingt-quatre heures aurait sauvé la France d’une seconde restauration. J’aurais effacé par une grande victoire l’impression de Waterloo, et j’aurais toujours pu traiter pour mon fils, si les alliés avaient persisté à dire qu’ils n’en voulaient qu’à moi.

Cette fois, vous vous trompez, sire. Non, les bons Français n’ont rien à vous reprocher. Non, vous n’avez pas eu tort de partir. Non, il nous fallait, à nous, cette seconde restauration, la révolution de 1830 et celle de 1848 ; il nous fallait cette république qui, toute bâtarde qu’elle est, sera la marraine de toutes les républiques de l’Europe. Il vous fallait, à vous, l’hospitalité du Bellérophon, la traversée du Northumberland, l’exil de Sainte-Hélène ; il vous fallait les persécutions de Longwood ; il vous fallait votre longue agonie, comme il fallait au Christ sa couronne d’épines, son Pilate et son Calvaire.

Si vous n’aviez pas eu votre passion, vous ne seriez pas dieu.