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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/10

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Louis XVIII ne voulait pas promettre la grâce, et ne voulait pas la refuser.

— Vous survivrez, je l’espère, à ce cruel événement, mon cher neveu, répondit-il, et nous en reparlerons. La chose est importante, d’ailleurs, continua-t-il, et vaut la peine d’être examinée à plusieurs fois.

À peine le roi avait-il prononcé ces paroles, que le prince se sentit étouffer ; il ouvrit les bras, et demanda qu’on le tournât sur le côté gauche.

— C’est ma fin ! dit-il tandis qu’on s’empressait de se rendre à son dernier désir.

Et, en effet, à peine le mouvement achevé, au moment où la pendule sonnait six heures et demie du matin, il expira.

On sait la douleur de la duchesse de Berry.

Elle prit des ciseaux qui étaient sur la cheminée, déroula ses beaux cheveux blonds, les coupa près de la racine, et les jeta sur le corps de son mari.

Quant à Louis XVIII, sa douleur fut double : ignorant la grossesse de madame la duchesse de Berry, il pleurait, dans le prince mort, plus qu’un neveu assassiné, il pleurait une race éteinte.

Retiré aux Tuileries, le roi songea à ce qui s’était passé depuis deux jours : à cette lettre reçue le matin même de l’assassinat ; à cet avis d’un grand malheur menaçant la famille royale.

Alors, quoiqu’il n’eût plus rien à attendre du mystérieux inconnu, la légende que nous transcrivons dit que Louis XVIII se traîna jusqu’à la fenêtre sur ses jambes endolories, et plaça sur une des vitres les trois pains à cacheter qui devaient servir de signal et d’encouragement à la visite de l’inconnu.

Deux heures après, le roi recevait, sous triple enveloppe, une lettre conçue en ces termes :

« Il est trop tard ! Qu’un homme de confiance vienne me prendre sur le pont des Arts, où je serai ce soir à onze heures.

» Je me fie à l’honneur du roi. »