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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/100

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

nos chênes, qui, lorsqu’ils ne poussent plus par en haut, poussent par en bas, et qui gagnent en racines ce qu’ils perdent en feuilles. Vous vivrez jusqu’au jour du jugement dernier.

— Oh ! garçon, me dit-il, j’ai été bien malade ; tu n’as donc pas su cela ?

— Non, quand ?

— Il y a trois ans et demi.

— Qu’avez-vous donc eu ?

— J’ai eu mal aux dents.

— C’est votre faute, pourquoi avez-vous des dents à votre âge ?

Ce jour-là, pauvre père Cartier ! — je veux parler du jour de notre partie, — ce jour-là, pour me servir d’un terme de joueur, je lui arrachai une fameuse dent.

Nous jouâmes cinq heures de suite, et, toujours doublant, je lui gagnai six cents petits verres d’absinthe.

Nous y serions encore, et jugez quel océan d’absinthe Cartier me devrait, si Auguste ne fût venu le chercher.

Auguste était un des fils de Cartier ; son père le craignait beaucoup ; il mit un doigt sur sa bouche pour me recommander le silence. Je fus généreux comme Alexandre à l’endroit de la famille de Porus.

Je laissai Cartier libre, sans lui demander de gage.

Seulement, nous fîmes nos comptes, Gondon et moi.

Réduits en argent, les six cents petits verres d’absinthe produisaient un total de dix-huit cents sous, c’est-à-dire quatre-vingt-dix francs.

Je pouvais prendre douze fois la voiture de Paris, conducteur payé.

Ma mère avait bien raison de dire :

— Enfant, Dieu est avec toi.

Ma mère était fort inquiète quand je rentrai ; elle savait de quelle folie j’étais capable, quand je m’étais chaussé une idée dans la tête. Ce fut donc avec une certaine inquiètude qu’elle me demanda d’où je venais.

D’ordinaire, quand je venais de chez Camberlin, je faisais