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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/99

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

d’autre prière que celle de mon oncle, le curé de Béthisy : « Mon Dieu, ne soyez ni pour l’un ni pour l’autre, et vous allez voir un gaillard joliment rossé ! » Voulez-vous six points, père Cartier ?

— Allons donc ! fit dédaigneusement Cartier, en ramenant ma bille sur la jaune.

Nous jouions la russe, c’est-à-dire la partie à cinq billes, et en trente-six points. Je fis six fois la jaune, trois fois à la blouse de droite, trois fois à la blouse de gauche.

— Six fois six : trente-six ; première manche. Vos deux petits verres ne valent plus que trois sous, père Cartier.

— Quatre sous, tu veux dire.

— Non, attendu que je veux vous gagner la seconde manche.

— Allons donc !

— Voulez-vous six points ?

— Je te les rends, si tu veux.

— J’accepte ! Marquez-moi six points, Gondon ; j’ai mes projets sur le père Cartier, je veux qu’il contribue à mon voyage de Paris ; c’est chez lui qu’on prend les diligences.

À cette seconde manche, Cartier arriva jusqu’à douze.

À trente points, je tombai sur une série, j’en fis seize ; c’étaient quarante-six points au lieu de trente-six.

Les six points restitués à Cartier, il m’en restait encore quatre que je pouvais lui offrir en retour.

Il les refusa avec sa dignité habituelle.

Mais-Cartier était un homme démonté quand il avait perdu la première partie, d’autant plus démonté qu’alors il s’entêtait, et qu’une fois en train, il eût joué ses terres, son hôtel, ses casseroles et jusqu’aux poulets qui tournaient à sa broche.

Brave père Cartier ! il vit toujours ; à quatre-vingt-six ou quatre-vingt-sept ans, il est demeuré, entre ses deux enfants, d’une verdeur merveilleuse.

Je ne vais pas une fois à Villers-Cotterets que je ne lui fasse ma visite.

La dernière fois que je le vis, il y a un an à peu près, je lui fis compliment sur sa santé.

— Morbleu ! lui dis-je, mon cher Cartier, vous êtes comme