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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/105

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

prédictions ne se réalisent pas toujours parce qu’elles devaient se réaliser, mais parce qu’elles ont jeté, dans les esprits de ceux à qui elles ont été faites, une fixité de désirs qui a influé sur les événements, qui a modifié les circonstances, qui les a conduits enfin au but qu’ils ont atteint, parce que ce but leur a été révélé d’avance, tandis que, sans cette révélation, ils seraient passés près de ce but sans l’apercevoir.

— Je vous demande un peu où il va prendre tout ce qu’il dit, s’écria ma mère.

— Eh ! parbleu ! dans sa conviction, dit M. Danré.

— Alors, votre avis, à vous aussi, est qu’il faut qu’il parte ?

— C’est mon avis.

— Mais, le malheureux ! vous connaissez ses ressources ?

— Cinquante francs, et sa voiture payée.

— Eh bien ?

— C’est assez, s’il doit réussir, ou si sa destinée le pousse où il dit. Avec un million, il n’atteindra pas où il veut atteindre, si la vocation lui manque.

— Eh bien, qu’il parte donc, puisqu’il le veut absolument.

— Quand partirai-je, ma mère ?

— Quand tu voudras. Cependant, tu nous donneras bien un jour.

— Écoute, ma mère. Je reste encore avec toi toute la journée d’aujourd’hui, de demain et de samedi. Samedi soir, je pars par la voiture de dix heures, j’arrive à cinq heures à Paris… j’ai le temps d’être chez Adolphe avant qu’il soit sorti.

— Ah ! dit ma mère en poussant un soupir, c’est lui qui t’a perdu !

Je m’inquiétai peu du soupir, parce que j’avais la conviction que je tiendrais l’engagement pris, et je commençai la série de mes adieux.

Je n’avais pas revu Adèle depuis son mariage. Je ne voulais pas lui écrire : la lettre pouvait être décachetée par son mari, et la compromettre. Je courus chez notre amie commune, Louise Brézette.

Hélas ! la pauvre enfant, elle était en larmes. Chollet, dont