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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/106

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

l’éducation forestière était achevée, avait été obligé de retourner chez ses parents, et il avait emporté avec lui tous les premiers rêves d’amour de la jeune fille ; elle était abandonnée et inconsolable ; toute sa vie, elle pleurerait son amant, et porterait le deuil de son amour.

Je lui citai l’exemple d’Ariane, en l’invitant à le suivre, et je crois… je crois qu’elle l’a suivi, et que même j’ai contribué, en quelque chose, à le lui faire suivre…

Pauvres et chers enfants ! bons et tendres amis de ma jeunesse ! ma vie est tellement prise maintenant, mes heures m’appartiennent si peu, je suis tellement une chose commune que chacune se partage, que, lorsque, par hasard, je vais là-bas, ou que vous venez ici, je ne puis vous donner tout le temps que vous doivent mon cœur et mes souvenirs ! Mais, quand j’aurai conquis quelques-unes de ces heures de repos à la conquête desquelles Théaulon a passé sa vie, et qu’il n’a jamais conquises, oh ! je vous le promets, ces heures seront à vous, sans conteste et sans partage ! Vous avez assez de souvenirs pour les jeter à pleines mains sur ma vieillesse, et me faire des derniers jours aussi fleuris que l’ont été les premiers !

Puis il y a là-bas des tombes fermées qui m’attirent autant, plus même, que les maisons ouvertes ; des morts qui me parlent plus haut que les vivants.

En sortant de chez Louise, j’entrai chez maître Mennesson ; j’étais resté en assez bons termes avec lui.

Seulement, depuis notre séparation, il s’était marié.

Mais je crois que le mariage l’avait rendu plus incrédule encore.

— Ah ! dit-il en m’apercevant, te voilà, toi ?

— Oui. Je viens vous dire adieu.

— Tu pars donc, décidément ?

— Samedi soir.

— Et avec combien pars-tu ?

— Avec cinquante francs.

— Mon cher ami, il y a des gens qui sont partis avec moins que cela, témoin M. Laffitte.