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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/125

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

l’équateur, qui s’était égarée au nord jusqu’aux îles Cassitérides, tant que Carthage conserverait un vaisseau armé.

Ô Carthaginois ! peuple de marchands, d’avocats et de sénateurs, vous étiez perdus, cette fois ; et la race marchande l’emportait sur la race guerrière, les spéculateurs sur les soldats, les Hannon sur les Barca ; vous alliez consentir à tout ce qu’exigerait Régulus, s’il ne s’était pas trouvé à Carthage un Lacédémonien, un mercenaire, un Xantippe, lequel déclara que Carthage avait encore assez de ressources pour résister, et demanda le commandement en chef des armées. Le commandement lui fut accordé. C’était un Grec. Il attira les Romains en plaine, les enfonça avec sa cavalerie, et les fit écraser par ses éléphants. — Ce fut alors, ô Régulus-Talma ! que vous fîtes votre entrée dans Carthage, mais comme vaincu, mais comme prisonnier !

Certes, Lucien Arnault n’avait pas pressé ce magnifique sujet républicain au point d’en tirer tout le jus dramatique qu’il renfermait ; certes, il n’avait pas ressuscité cette Rome patiente et infatigable comme les bœufs qui traînent la charrue ; certes, il n’avait pas fait revivre la Carthage commerçante avec ses armées de condottieri recrutées parmi ces vigoureux Liguriens que Strabon nous montre, dans les montagnes de Gênes, brisant les rochers et portant d’énormes fardeaux ; parmi ces habiles frondeurs qui venaient des îles Baléares, qui arrêtaient, avec leurs pierres, le cerf dans sa course, l’aigle dans son vol ; parmi ces Ibériens si sobres et si robustes, qu’ils semblaient insensibles à la faim et à la fatigue, quand ils marchaient au combat avec leur saye rouge et leur épée à deux tranchants ; enfin, parmi ces Numides que nous combattons encore aujourd’hui à Constantine, à Djidjelli, cavaliers terribles, centaures maigres et ardents comme leurs coursiers.

Non, alors, — et cependant l’époque n’est pas éloignée, non, la poésie n’était pas là ; et vous aviez pris de ce grand sujet, mon cher Lucien, ce qu’il vous était permis d’en prendre, c’est-à-dire, non pas la peinture d’un peuple, mais le dévouement d’un homme.