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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/124

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

que tu ne me coûtes pas cher, et que tu ne dois pas avoir de remords.

Nous nous rendîmes au Palais-Royal, où nous dînâmes, ma foi, très-bien pour nos six francs, ou plutôt pour les six francs du général Verdier.

Puis nous allâmes prendre notre place à Régulus.

J’avais la mémoire pleine de Sylla ; je voyais entrer le sombre dictateur aux cheveux aplatis, à la tête couronnée, au front creusé par l’inquiétude ; sa parole était lente, presque solennelle ; son regard — celui du lynx et de l’hyène — s’abritait sous sa paupière clignotante comme celle des animaux qui ont l’habitude de veiller pendant la nuit et de voir dans l’obscurité.

C’était ainsi que j’attendais Talma.

Il entra, le pas rapide, la tête haute et la parole brève, ainsi qu’il convient au général d’un peuple libre et d’une nation conquérante ; il entra, enfin, tel que Régulus devait entrer. Plus de toge, plus de pourpre, plus de couronne : la simple tunique, serrée par la ceinture de fer, sans autre manteau que celui du soldat.

Voilà ce qu’il y avait d’admirable chez Talma, c’est que, dans sa personnalité, toujours celle du héros qu’il était appelé à représenter, il construisait un monde, il rebâtissait une époque. Oui, Talma, oui, vous étiez bien, cette fois, l’homme de la guerre punique, le collègue de Duillius, ce triomphateur à qui ses contemporains, ignorants encore de ces titres et de ces honneurs avec lesquels on récompense les défenseurs de la patrie, donnèrent un joueur de flûte pour suivre ses pas en tout lieu, et une colonne rostrale pour planter devant sa maison ; oui, vous étiez bien le consul qui, en abordant en Afrique, eut à combattre des monstres avant de combattre des hommes, et qui essaya des machines de guerre destinées à démanteler les murailles de Carthage en écrasant un boa de cent coudées ; vous étiez bien cet homme à qui deux victoires donnèrent deux cents villes, et qui refusait toute paix à Carthage, tant que Carthage, la reine de la Méditerranée, la suzeraine de l’Océan, qui avait côtoyé l’Afrique au sud jusqu’au delà de