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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/132

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

mort, hélas ! avant que ces rêves se fussent réalisés ; vous êtes mort sans savoir qu’ils se réaliseraient un jour ; vous êtes mort, et la reconnaissance et la douleur m’ont inspiré, au bord de cette tombe où vous descendiez avant l’âge, je ne dirai pas les premiers bons vers que j’ai faits, — ce serait peut-être bien ambitieux, — mais les premiers vers de moi qui vaillent la peine d’être cités.

Voici ceux que je me rappelle ; j’ai complètement oublié les autres :

Ainsi de notre vieille gloire
Chaque jour emporte un débris !
Chaque jour enrichit l’histoire
Des grands noms qui nous sont repris !
Et, chaque jour, pleurant sur la nouvelle tombe
D’un héros généreux dans sa course arrêté,
Chacun de nous se dit épouvanté :
« Encore une pierre qui tombe
Du temple de la Liberté !… »

Je ne fis qu’un bond de la rue du Mont-Blanc à la rue Pigalle. J’avais à annoncer à Adolphe la réalisation de toutes mes espérances. J’étais donc sûr, enfin, de rester à Paris. La carrière tant ambitionnée s’ouvrait devant moi, immense, sans limites. Dieu avait fait de son côté tout ce qu’il devait faire ; il m’avait, avec la lampe d’Aladin, lâché dans le jardin des fées. Le reste dépendait de moi.

Jamais homme n’a vu, je crois, ses désirs plus complètement satisfaits, ses espérances plus entièrement comblées. Napoléon n’était pas plus fier et plus heureux que moi le jour où, ayant épousé Marie-Louise, il put répéter trois fois dans la même journée : « Mon pauvre oncle Louis XVI ! »

Adolphe partageait bien sincèrement mon bonheur. M. de Leuven, pour n’en pas perdre l’habitude, raillait doucement mon enthousiasme. Madame de Leuven, la plus parfaite des femmes, était joyeuse d’avance de la joie qu’allait éprouver ma mère.

Tous trois voulaient me retenir à dîner avec eux ; mais