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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/135

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

dames Lafarge, Dupré, Dupuis, tenaient conciliabule. Je fus reçu à bras ouverts, fêté par tout le monde.

On n’avait jamais douté de moi ; on avait bien dit, toujours, que je deviendrais quelque chose ; on était heureux d’avoir fait à ma pauvre mère une prédiction qui s’était réalisée.

C’étaient, sauf madame Darcourt, notez bien ceci, celles qui avaient prédit à ma mère la paresse éternelle de son bien-aimé fils.

Nais le sort est aussi un roi, le plus inexorable, le plus puissant de tous ; il n’est donc pas étonnant que le destin ait ses courtisans.

De la journée, nous ne pûmes nous trouver seuls.

Je profitai de cet encombrement à la maison pour faire quelques petits adieux particuliers à ma bonne Louise, qui m’eût consolé du mariage d’Adèle, si j’avais pu être consolé, et que j’eusse bien certainement tout à fait consolée du départ de Chollet, si je ne fusse point parti moi-même.

Le soir, nous nous trouvâmes, enfin, un peu seuls, ma mère et moi. Ce fut alors que nous causâmes de nos petites affaires. Je voulais que ma mère vendît tout ce qui nous était inutile, et vint tout de suite s’installer avec moi à Paris.

Vingt ans de malheurs avaient mis du doute dans le cœur de ma mère. À son avis, c’était par trop se hâter que d’agir ainsi. Puis ces douze cents francs que je croyais une fortune étaient une bien petite somme pour vivre à Paris. D’ailleurs, je ne les tenais pas encore. Le surnumérariat n’est qu’un temps d’essai ; si, au bout d’un mois, de deux mois, on allait reconnaître que je ne convenais pas à la place ; et si M. Oudard, mon chef de bureau, me faisant asseoir comme Auguste avait fait à Cinna, comme M. Lefèvre avait fait à moi, me demandait, comme M. Lefèvre me l’avait demandé : « Monsieur, avez-vous quelque idée de la mécanique ? » nous étions perdus ; car ma mère n’avait plus même la ressource de son bureau de tabac, qu’elle aurait quitté, et qu’elle ne pouvait pas vendre à condition.

Ma mère s’arrêta donc à la chose raisonnable, qui était celle-ci :