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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/134

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ma volonté, changé moi-même, et à tout jamais, la face de ma destinée.

Enfin, le moment arriva où je n’eus plus rien à lui dire, et où le sommeil parla à son tour. J’allai retrouver mon lit à peine refroidi, et, quand je me réveillai, c’est moi qui me demandai si j’avais bien quitté Villers-Cotterets pendant trois jours, et si je n’avais pas fait un rêve.

Je sautai à bas de mon lit, je m’habillai, j’embrassai ma mère, et, tout courant, je suivis là route de Vouty. M. Danré devait être le premier à qui j’annonçasse ma bonne fortune.

C’était trop juste, puisqu’il l’avait faite.

M. Danré apprit la nouvelle avec un sentiment de fierté personnelle. Il y a quelque chose qui grandit la pauvre espèce humaine quand un homme, pour une bonne action, a compté sur un autre, et que cet autre l’accomplit simplement, sans ostentation, comme un dégagement de la parole de son ami.

M. Danré eût voulu me garder toute la journée ; mais j’étais devenu glissant comme une anguille. Non-seulement j’avais hâte que tout le monde connût mon bonheur, mais encore je doublais ce bonheur en l’annonçant moi-même.

Il comprit cela, ce cher M. Danré, comme les bons cœurs comprennent tout. — Nous déjeunâmes, et il me rendit ma liberté.

Sans représenter, Dieu merci, la même idée mythologique que Mercure, j’avais comme lui des ailes aux talons : en vingt ou vingt-cinq minutes, j’étais de retour à Villers-Cotterets ; mais, quelque diligence que j’eusse faite, la nouvelle s’était propagée en mon absence. Tout le monde savait déjà, à mon retour, que j’étais surnuméraire au secrétariat du duc d’Orléans, et chacun m’attendait sur la porte pour me féliciter de ma bonne fortune.

On me fit cortège jusqu’à la porte de l’abbé Grégoire.

Que de souvenirs à moi j’ai mis dans l’histoire de mon pauvre compatriote Ange Pitou !

Je trouvai, en rentrant chez nous, la maison pleine de commères. Outre notre amie madame Darcourt, les voisines, mes-