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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/146

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

un corridor à gauche ; je trouvai à ma gauche une porte au-dessus de laquelle était écrit le mot parterre, et j’entrai.

Ce fut là que je reconnus la vérité de ce que m’avait dit l’amateur qui m’avait vendu sa place vingt sous. Quoique j’eusse quinze ou vingt personnes à peine avant moi, à là queue, le parterre était presque plein.

Un noyau des plus compactes s’était surtout formé sous le lustre.

Je compris cela, puisque, à mon avis, là devaient être les meilleures places.

Je résolus aussitôt de me mêler à ce groupe, qui me paraissait ne s’être tant pressé que pour se placer si bien.

Je montai sur les banquettes, comme j’avais vu faire à plusieurs, et, marchant en équilibre sur leur dos arrondi, je me mis en mesure de gagner le centre.

Je devais être, ou plutôt, il faut en convenir, j’étais fort ridicule. J’avais les cheveux très-longs, et, comme ils sont crépus, ils formaient autour de ma tête une assez grotesque auréole.

En outre, à une époque où l’on portait les redingotes coupées au-dessus du genou, je portais, moi, une redingote qui me tombait jusqu’à la cheville. Une révolution s’était accomplie à Paris, qui n’avait pas eu le temps de se faire à Villers-Cotterets. J’étais à la dernière mode de Villers-Cotterets, mais j’étais à l’avant-dernière mode de Paris.

Or, comme rien n’est, en général, plus opposé à la dernière mode que l’avant-dernière mode, — ainsi que j’ai déjà eu la modestie de le dire, — j’étais fort ridicule.

Sans doute, je parus tel à ceux vers lesquels je m’avançais, car ils m’accueillirent avec des éclats de rire, qui me semblèrent d’assez mauvais goût.

J’ai toujours été très-poli ; mais, à cette époque, à côté de la politesse que je tenais de mon éducation maternelle, veillait, inquiète et soupçonneuse, une vivacité qui me venait probablement de mon père. Cette vivacité faisait de mes nerfs une espèce d’instrument très-facile à irriter.

Je mis le chapeau à la main, mouvement qui démasqua la complète originalité de ma coiffure, et redoubla l’hilarité gé-