Je ne me trompais pas : je trouvai à l’orchestre une compagnie toute différente de celle que j’avais trouvée au parterre, et, comme l’ouvreuse m’avait indiqué, vers le milieu de la banquette, une place libre, je me mis en devoir de gagner cette place.
Chacun se leva poliment pour me laisser passer. J’atteignis ma place, et je m’assis à côté d’un monsieur en pantalon gris, en gilet chamois, en cravate noire.
C’était un homme de quarante à quarante-deux ans.
Son chapeau était sur la stalle que je devais occuper. Il s’interrompit de lire dans un charmant petit livre — que je sus depuis être un Elzévir, — enleva son chapeau en s’excusant, me salua, et se remit à lire.
— Peste ! me dis-je à part moi, voici un monsieur qui me parait mieux élevé que ceux auxquels j’ai eu affaire tout à l’heure.
Et, me promettant d’entretenir avec lui des relations de bon voisinage, je m’assis dans la stalle vide.
LXXIV
À cette époque de ma vie, faite toute d’ignorance, d’avenir et de foi, j’ignorais parfaitement ce que c’était qu’un Elzévir ou plutôt un Elzévier.
Je l’appris dans la soirée, comme on va le voir ; mais je ne le sus jamais bien que plus tard, lorsque j’eus fait connaissance avec mon savant ami le bibliophile Jacob.
C’est donc par anticipation que j’ai dit que le monsieur poli lisait un Elzévir ; j’aurais dû dire tout simplement qu’il lisait un livre.
J’ai raconté comment j’avais pris place près de lui, et comment, tiré de sa lecture par l’obligation où il avait été d’enle-