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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/164

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le spectre se retire, mais en menaçant et en répétant :
» Le néant !
ITHURIEL traverse le théâtre dans un nuage.
Le théâtre change et représente un des appartements de sir Aubray. »

— Absurde ! absurde ! s’écria mon voisin.

Et il se remit à lire le Pastissier françois.

Je n’étais pas tout à fait de son avis ; j’avais trouvé la décoration magnifique ; je n’avais rien à dire de Malvina, qui n’avait pas parlé ; mais Philippe m’avait paru fort beau sous sa pâleur, et Moessard fort respectable.

D’ailleurs, si informe que cela fût, c’était un essai de romantisme, c’est-à-dire de quelque chose de fort inconnu à cette époque. Cette intervention d’êtres immatériels et supérieurs dans la destinée humaine avait un côté fantastique qui plaisait à mon imagination, et peut-être est-ce cette soirée qui déposa dans mon esprit le germe de Don Juan de Marana, éclos onze ans après seulement.

La pièce commença.

Sir Aubray, — on verra plus tard pourquoi je souligne le mot sir, — sir Aubray a rencontré à Athènes lord Ruthwen, riche voyageur anglais, et s’est lié d’amitié avec lui. Pendant leurs promenades au Panthéon, pendant leurs rêveries au bord de la mer, ils avaient cherché le moyen de resserrer encore les liens de leur amitié, et ils avaient résolu, sauf le consentement de Malvina, une union entre la jeune fille, restée au château de Staffa, et le noble voyageur, devenu le meilleur ami de son frère. Malheureusement, dans une excursion qu’Aubray et Ruthwen avaient faite aux environs d’Athènes, pour assister aux noces d’une jeune fille dotée en secret par lord Ruthwen, les deux compagnons avaient été attaqués par des brigands ; une rude défense avait mis en fuite les assassins ; mais, frappé d’un coup mortel, lord Ruthwen était