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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/166

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

demande à l’épouser dans les vingt-quatre heures. Malvina se défend tout juste ce qu’il faut pour céder. On se rend au château de Marsden. — La toile tombe.

J’avais suivi de l’œil mon voisin presque autant que la pièce, et, à ma grande satisfaction, je l’avais vu refermer son Elzévir, et écouter les dernières scènes. Lorsque la toile fut tombée, il poussa une exclamation de dédain accompagnée d’un profond soupir.

— Peuh !… fit-il.

Je profitai du moment pour renouer la conversation.

— Pardon, monsieur, lui dis-je, mais, à la fin du prologue, vous avez dit : « C’est absurde ! »

— Oui, dit mon voisin, je crois avoir dit cela, ou, si je ne l’ai pas dit, je l’ai assurément pensé.

— Blâmez-vous donc l’intervention des êtres surnaturels dans le drame ?

— Non pas, au contraire, je l’aime fort. Tous les grands maîtres en ont tiré de puissants effets : Shakspeare, dans Hamlet, dans Macbeth, et dans Jules César ; Molière, dans le Festin de pierre, qu’il eût dû appeler le Convive de pierre, pour que son titre eût une signification ; Voltaire, dans Sémiramis ; Gœthe, dans Faust. Non, j’aime fort le surnaturel, au contraire, attendu que j’y crois.

— Comment ! vous croyez au surnaturel ?

— Sans doute.

— Dans la vie commune ?

— Certainement. Nous côtoyons à tout instant des êtres qui nous sont inconnus parce qu’ils nous sont invisibles : l’air, le feu, la terre sont habités. Sylphes, gnomes, ondins, farfadets, lutins, anges, démons, flottent, rampent, voltigent, bondissent autour de nous. Qu’est-ce que c’est que ces étoiles filantes dans la nuit, météores que les astronomes cherchent en vain à nous expliquer, et dont ils ne peuvent découvrir ni la cause, ni le but, si ce n’est des anges qui vont, d’un monde dans un autre, porter les ordres de Dieu ? Un jour, nous verrons tout cela.

— Nous verrons, dites-vous ?