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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/176

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

moi pleine d’intérêt m’étonnait de la part d’un homme aussi bienveillant que paraissait l’être mon voisin. Non-seulement, comme je l’ai dit, il s’était livré à de bruyants murmures, mais encore, pendant toute la dernière scène, il avait joué d’une façon inquiétante avec une clef qui s’était à plusieurs reprises approchée de sa bouche.

— En vérité, monsieur, lui dis-je, je vous trouve bien sévère pour cet ouvrage.

Mon voisin haussa les épaules.

— Oui, monsieur, je le suis, d’autant plus que l’auteur se croit un homme d’esprit, que l’auteur se croit un homme de talent, que l’auteur se croit un homme de style, et qu’il se trompe. J’ai vu cela, il y a trois ans, quand cela a été joué, et je le revois aujourd’hui. Eh bien, ce que j’ai dit alors, je le répète : la pièce est plate, sans invention, invraisemblable. — Ah bien, oui, les vampires ! ils se donnent bien toutes ces peines-là ! Et puis, sir Aubray ! Est-ce que l’on dit sir Aubray ? Aubray est un nom de famille, et l’on ne met le titre de sir que devant le nom de baptême. — Ah ! il a bien fait de garder l’anonyme, l’auteur ; il a eu de l’esprit, ce jour-là.

Je profitai du moment où mon voisin reprenait haleine.

— Monsieur, lui dis-je, vous vous êtes écrié tout à l’heure ; « Ah bien, oui, les vampires ! ils se donnent bien toutes ces peines-là ! » Vous vous êtes écrié cela, n’est-ce pas ? Je ne me suis pas trompé ?

— Non.

— C’est qu’en employant cette forme de langage, vous paraissez parler des vampires comme s’ils existaient réellement ?

— Sans doute qu’ils existent.

— En auriez-vous vu, par hasard ?

— Certainement que j’en ai vu !

— Au microscope solaire ? hasardai-je en riant.

— Non, de mes yeux, comme Orgon avec Tartufe.

— Où cela ?

— En Illyrie.

— En Illyrie ? Ah ! vous avez été en Illyrie ?

— Trois ans.