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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/192

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tout filial au commencement de sa vie, tout maternel à la fin, que d’entendre les sombres lamentations du prince danois redemandant son père avec cette voix pleine de larmes que nous n’avons entendu qu’à Talma ? Aussi, à ces trois vers :

On remplace un ami, son épouse, une amante ;
Mais un vertueux père est un bien précieux
Qu’on ne tient qu’une fois de la bonté des cieux !

la jeune artiste, qui, avec son génie, voyait le comble de l’art, et ressentait avec son âme le comble de la douleur, se rejeta en arrière, poussa un sanglot, et s’évanouit.

On l’emporta dans un cabinet ; mais vainement la pièce continua, elle ne voulut pas rentrer.

Ce ne fut que dix ans plus tard qu’elle revit Talma.

On continua la route, et on arriva à Strasbourg.

Cependant, peu à peu, mademoiselle Delaunay devint une grande personne. Alors, elle changea d’emploi, et joua les Dugazon. C’était une charmante jeune fille, pleine de malice et de cœur dans son jeu, disant admirablement bien la prose de M. Étienne, mais s’obstinant à chanter faux la musique de M. Nicolo. Pour une Dugazon, c’est un grand défaut que de dire juste et de chanter faux. Heureusement, Perrier, qui était en représentation à Strasbourg, donna à madame Delaunay le conseil de faire abandonner l’opéra-comique à sa fille, et de la diriger vers la comédie. En vertu de ce conseil, la Dugazon devint une jeune amoureuse. Panard fut trahi pour Molière ; l’artiste et le public s’en trouvèrent bien.

De là datent les premiers succès de madame Dorval.

Hélas ! de là datent aussi ses premières douleurs !

Sa mère tomba malade d’une longue et cruelle maladie. Les services que madame Delaunay rendait comme première chanteuse se trouvant affaiblis, les appointements se trouvèrent diminués. Alors, la jeune fille redoubla d’efforts ; elle comprit que le talent était, non-seulement une affaire d’art, mais encore une chose de nécessité. Grâce à ses efforts, ses appointements furent portés de quatre-vingts francs à cent francs ; il